250 kilomètres de barbelés
Le camp de Gurs, ouvert au printemps 1939, fonctionne jusqu’en 1945, à la fin de la seconde guerre mondiale. Plus de 60 000 personnes de 54 nationalités y sont internées dans un camp entouré de 250 kilomètres de barbelés. C’est une page de l’histoire européenne qui se lit ici, de la guerre d’Espagne aux heures sombres de l’Occupation. Comme un écho de l’histoire mondiale qui résonne encore de nos jours aux confins du Béarn.
La Retirada
26 janvier 1939. Chute de Barcelone et de la seconde République espagnole. Victoire du régime fasciste de Franco. Quelques 450 000 personnes prennent le chemin de l’exil à travers les Pyrénées, dans des conditions terribles, passant la frontière à Cerbère, au Perthus, à Prats-de-Mollo ou encore à Bourg-Madame. C’est la Retirada. Une cohorte composée d’hommes, de femmes, d’enfants, jeunes et vieux, fuient les combats. Viennent ensuite les hommes de l’armée républicaine et des Brigades Internationales. Réfugiés et combattants reçoivent un accueil mitigé. Car si le gouvernement français avait bien envisagé cet exode, il en avait sous-estimé l’ampleur. Rapidement débordées, les autorités répartissent comme elles le peuvent les réfugiés dans différents centres d’accueil. Les premiers camps sont installés sur les plages, à même le sable… par les réfugiés qui sont réquisitionnés pour les construire. Ironie de la situation d’une époque marquée par la peur de l’autre et de l’étranger.
Le camp de Gurs
C’est dans ce contexte d’urgence, qui paraît bien éloigné du Béarn, qu’est décidée la construction du camp de Gurs. Car depuis la fin de l’année 1938, une législation d’exception prévoit l’internement des étrangers « indésirables », c’est-à-dire perçus comme susceptibles de troubler l’ordre public et la sécurité nationale. Les Espagnols et les volontaires des Brigades Internationales seront les premiers à subir les conséquences de cette politique d’exclusion. D’autres suivront. Les opposants politiques aux premières heures du régime de Vichy. Puis les populations juives, déportées du Sud-Ouest de l’Allemagne notamment. Gurs devient alors l’antichambre de la mort, étape sur un trajet funeste vers les camps de concentration et d’extermination de Europe de l’Est. Les Gitans et autres indésirables suivront. À la Libération, quelques prisonniers de guerre et des collaborateurs peupleront pour un temps les baraques.
Tous font le même chemin. Arrivés en train à la gare d’Oloron Sainte-Marie, les futurs internés sont amenés en camions jusqu’au camp de Gurs. Là, les conditions de vie sont terribles. La boue, omniprésente sur la lande marécageuse. La faim et les maladies, conditions de vie misérables. Les puces, les poux, les punaises et les rats comme compagnons de chambrée, avec les 59 autres internés qui étaient parqués ensemble dans une seule baraque, alignés sur les paillasses.
Le camp de Gurs est à la fois emblématique de cette page historique de l’internement, tout comme il a, par bien des aspects, un caractère exceptionnel. Construit en 42 jours entre avril et mai 1939, il occupe une surface de 2 kilomètres de long sur 400 mètres de large. 13 îlots de baraquements pour une capacité de 18 000 internés. Quelques 63 929 personnes de 54 nationalités y seront internées en 5 ans. 3 907 déportés directement à Auschwitz et Maïdanek l’inscrivent dans la mécanique meurtrière de la Shoah. 1073 tombes témoignent de l’horreur des conditions de vie du camp le plus meurtrier de France.
Mais Gurs, ce sont aussi 50 naissances. Et des milliers de créations artistiques, dessins, peintures ou partitions musicales qui illustrent toute la résilience dont ont su faire preuve celles et ceux à qui on avait alors tout enlevé, jusqu’à la dignité. Et ces témoignages nous rappellent la force de l’espoir qui anime celles et ceux qui résistent. Au nom d’un idéal, pour un enfant, pour croire en un avenir meilleur. Ils nous enseignent aussi combien la culture est importante. Celle qui crée de la beauté et de l’émotion. Celle qui réunit. Celle qui offre la possibilité d’aller vers l’autre pour le rencontrer, partager. Une culture qui dans sa multiplicité d’expressions est le lien qui unit tous les Hommes.
Un projet pour demain
« Gurs, une drôle de syllabe, comme un sanglot qui ne sort pas de la gorge ». Le poète Aragon livre sa vision du plus grand camp d’internement français. Son caractère exceptionnel n’a finalement d’égal que l’oubli dans lequel il a failli tomber. Totalement détruit à la Libération, l’espace qu’il occupait est recouvert par une forêt dès le début des années 1950. Comme un voile de verdure jeté sur une histoire qu’on ne veut plus voir. C’était sans compter le devoir de mémoire vibrant qui va animer, dès sa fermeture, les rescapés et héritiers de ceux qui ont vu et vécu l’enfer de Gurs et de la déportation.
En juillet 1980, plusieurs rescapés du camp de Gurs lancent un appel qui nous parle fort en cette période troublée par la guerre aux portes de l’Europe. Un appel qui nous rappelle que la paix et la fraternité sont des valeurs à défendre. Encore et toujours. Un appel qui a profondément orienté le sens du projet de valorisation du camp de Gurs que le Pays de Béarn mène actuellement avec ses partenaires locaux et européens.
Comme un écho au témoignage de Lili Leignel qui, en janvier 2022, lors de la journée mondiale de commémoration des victimes de l’holocauste alerte : « Il faut faire très attention, le mal revient ». Mais cela n’est en rien une fatalité. Depuis 2020, répondant à une aspiration de plus de 20 ans et à l’évidence du devoir d’histoire, un projet de valorisation, coordonné par le Pays de Béarn, associe tous les acteurs de ces mémoires pour continuer de transmettre les trajectoires funestes des internés, dans une logique d’ouverture multiculturelle et d’éducation à la citoyenneté.
Visiter le site du camp de Gurs
Le site du camp est ouvert à tous et libre d’accès, 7j/7 et 24h/24.
Un bâtiment d’accueil présente les grandes lignes de l’histoire et deux sentiers d’interprétation permettent d’aller plus loin sur les chemins de la connaissance.