Un projet d’avenir

Le camp de Gurs : un lieu d'histoire et de mémoires pour préparer demain

Le camp de Gurs est le témoin d’une histoire commune et peu connue du Béarn, au temps de la guerre civile d’Espagne, puis aux heures sombres de l’Occupation. Il est construit en quelques semaines sur décision du gouvernement de la Troisième République. Il restera, tout au long de son histoire, sous administration française, en zone libre. Ouvert au printemps 1939, il fonctionne jusqu’en 1945, à la fin de la seconde guerre mondiale. Plus de 60 000 personnes de 52 nationalités y sont internées, dans un camp entouré de barbelés, aux conditions de vie indignes. Aujourd’hui, un projet associant les acteurs publics et privés ouvre une nouvelle page de son histoire, pour le sortir inéluctablement de l’oubli.

L’objectif poursuivi est la création d’un établissement sur l’histoire et les mémoires de Gurs, répondant à un défi principal d’éducation à la citoyenneté européenne.

Un lieu d’histoire et de mémoires

En France, depuis la fin de l’année 1938, une législation d’exception prévoit la possibilité d’interner des étrangers « indésirables », c’est-à-dire susceptibles de troubler l’ordre public et la sécurité nationale. Sur un terrain de 2 kilomètres de long sur 400 mètres de large, le Camp de Gurs est construit en 42 jours entre mars et avril 1939, suivant les plans des Ponts et Chaussées. Il est composé de 13 îlots de baraquements pour une capacité de 18 000 internés qui est souvent dépassée. S’y ajoutent les hangars et bâtiments pour héberger les troupes et les gardiens.

Les Espagnols, notamment les combattants basques, et les volontaires des Brigades Internationales seront les premiers à subir les conséquences de cette politique d’exclusion que le camp de Gurs incarne et concrétise. D’autres suivront. Les opposants politiques aux premières heures du régime de Vichy. Des tziganes. Puis les populations juives, déportées du Sud-Ouest de l’Allemagne tout d’abord puis tous les Juifs étrangers dans le cadre de la politique de collaboration de l’État Français. Gurs devient alors l’antichambre de la mort, étape sur un trajet mortifère vers les camps de concentration et d’extermination de Europe de l’Est. Ces indésirables sont les « damnés de Gurs », comme ils se nomment eux-mêmes.

Le camp de Gurs vu depuis le château d’eau (Source : Archives Départementales 64)

Tous les internés font le même chemin. Arrivés en train à la gare d’Oloron-Sainte-Marie, les futurs internés sont amenés en camion jusqu’au camp de Gurs. Là, les conditions de vie sont terribles. La boue, omniprésente sur la lande marécageuse. La faim et les maladies, conditions de vie misérables. La promiscuité et la surpopulation. Les puces, les poux, les punaises et les rats comme compagnons de chambrée, avec les 59 autres internés qui étaient parqués ensemble dans une seule baraque, alignés sur les paillasses. 3 907 déportés directement à Auschwitz inscrivent le camp de Gurs dans la mécanique meurtrière et implacable de la Shoah. 1073 tombes témoignent de l’horreur des conditions de vie du camp.

(Sur) vivre à Gurs. Mais le camp de Gurs, ce sont aussi 50 naissances. La place et le rôle des associations ou des œuvres de secours sont essentiels lorsque l’on parle de la vie du camp, peut-être un peu plus encore quand on s’attache au vécu des femmes et des enfants. Enfin, à Gurs comme dans les autres lieux concentrationnaires, il y a eu des milliers de créations artistiques, dessins, peintures ou partitions musicales qui illustrent toute la résilience dont ont su faire preuve celles et ceux à qui on avait alors tout enlevé, jusqu’à la dignité. Ces témoignages nous rappellent la force de l’espoir qui anime celles et ceux qui résistent. Au nom d’un idéal, pour un enfant, pour croire en un avenir meilleur. Ils nous enseignent aussi combien la culture est importante. Celle qui crée de la beauté et de l’émotion. Celle qui réunit. Celle qui offre la possibilité d’aller vers l’autre pour le rencontrer, partager.

A la Libération, quelques prisonniers de guerre et des collaborateurs peupleront pour un temps les baraques. En 1945, le camp de Gurs est entièrement démantelé. Les baraques et hangars sont détruits ou vendus. Une forêt est plantée en lieu et place des anciennes installations, sur la majeure partie de l’emprise de l’ancien camp. Depuis plus de 40 ans, les acteurs associatifs locaux, comme les partenaires allemands et espagnols, militent pour la création d’un équipement qui soit à la hauteur de l’histoire du lieu.

Un projet fédérateur et partenarial

Dans le respect des différentes représentations mémorielles installées au fil des ans, il est apparu nécessaire de penser un aménagement qualitatif et ambitieux du site pour accueillir au mieux le public. C’est dans cet état d’esprit que le Pays de Béarn a piloté une démarche partenariale depuis 2021, associant des acteurs publics et associatifs, locaux, nationaux et internationaux, pour imaginer un avenir commun. Dès le départ, les partenaires espagnols et allemands ont été étroitement impliqués, notamment avec le soutien des services des Consulats généraux.

Cette internationalisation de la démarche correspond à l’ambition élevée du projet d’une part, mais aussi à la nécessité de s’inscrire pleinement dans une échelle européenne. Ces partenariats fondateurs sont la base solide du réseau à développer dans le cadre de ce projet.

Cérémonie organisée par le Land du Bade-Wurtenberg (Allemagne) en octobre 2023

Les communautés mémorielles sont multiples au camp de Gurs : cet élément est central. Elles induisent des significations différentes du rapport au lieu. Pour autant, le projet mené actuellement se veut rassembleur et fédérateur. Ainsi, dans le respect de tous et de chacun, le projet scientifique et culturel du futur établissement prend en compte le fait que les mémoires de Gurs sont plurielles et convergentes. De fait, si la chronologie les distingue, elle ne doit pas les diviser ou les séparer. L’histoire les unit. C’est le sens de ce projet engagé, mené avec humilité et ambition : au-delà des différences, donner les clés de compréhension d’une communauté de vie pour tous les internés qui s’incarnera dans un lieu commun dédié à l’éducation.

Le cimetière de l’ancien camp de Gurs, emblématique lieu de mémoire de la communauté des « Damnés de Gurs »

Les aménagements projetés permettront d’être à la hauteur de l’histoire du camp de Gurs et de ses internés, conciliant les désirs de mémoire(s) et aux besoins d’histoire et d’éducation. Ce futur équipement inaugure une nouvelle génération de lieux de mémoire, révélateur du passé et résolument tourné vers demain, pour nous et pour les générations à venir.

En répondant aux désirs de mémoire(s) des communautés présentes à Gurs, c’est aussi un devoir d’histoire que nous allons accomplir en révélant un passé douloureux qui doit éclairer notre chemin vers le futur. Nous souhaitons créer un lieu pour comprendre, se recueillir, dans une démarche empreinte de solennité et de respect.

La création d’un équipement pensé pour jouer un rôle dans et pour la société

Le contexte actuel, marqué par la prégnance des enjeux sociaux et culturels pour trouver les clés du vivre-ensemble dans une société qui se polarise de plus en plus, comme la certitude du besoin d’approche scientifique historique dans le débat public, justifient un positionnement engagé, d’utilité publique et de rayonnement européen.

Discrète stèle posée au sol marquant l’emprise historique de l’ancien camp de Gurs


Concrètement, cela se traduit par une éthique structurante pour le futur établissement reposant sur 5 piliers :
– Le rôle majeur de la science historique qui apprend à comprendre et respecter les faits, à rejeter le dogmatisme ;
– La détermination à relever le défi de la défense du multiculturalisme dans le cadre de la lutte contre les discriminations, les racismes et l’antisémitisme ;
– L’engagement pour la défense des droits humains et de la fraternité ;
– La volonté assumée d’éducation à la citoyenneté européenne éclairée ;
– L’ambition d’être un acteur majeur d’un réseau transpyrénéen de sites de mémoire dans le Sud-Ouest européen pour contribuer à l’affirmation d’approches transnationales et réunificatrices des récits et d’une histoire commune.

Le projet d’établissement mettra la transmission et l’éducation à la citoyenneté au cœur des approches et de ses actions, pour promouvoir les valeurs démocratiques, républicaines, européennes de fraternité et de solidarité. Ces valeurs s’incarneront dans les missions du futur établissement. Il structura et animera une programmation qui ambitionne d’être ouverte à tous les publics pour transmettre l’histoire et les mémoires de Gurs -dans et hors les murs-, avec une attention particulière portée au jeune public et à la qualité de l’offre de visite à destination des visiteurs français et étrangers.

Les orientations du projet prennent ainsi en compte l’évolution des lieux de mémoire en Europe qui sont passés du constat à une contextualisation historique et une réflexion élargie, s’acheminant vers la projection et la résilience. Ce projet se définira et se concrétisera avec le soutien et l’implication de tous les partenaires, institutionnels et associatifs, français et européens.

L’ouverture est projetée pour début 2029. Un nouveau chapitre de l’histoire s’ouvrira alors, à écrire ensemble…

Moment suspendu sur le site de l’ancien camp de Gurs