Chez Camymosa, la chasse aux (bons) œufs, c’est toute l’année !
À deux pas de Pau, une jeune éleveuse de poules pondeuses réinvente la basse-cour.

A Espéchède, dans une exploitation pas comme les autres, des poules trottinent joyeusement entre chênes centenaires et vertes prairies. Les « filles » d’Estelle Lansaman – c’est ainsi qu’elle les appelle – gambadent librement, fouillent le sol et picorent à l’envi. Ici, pas de cages, pas de bâtiments démesurés, mais une vie rythmée par la lumière, la météo et les soins constants d’une jeune agricultrice très attachée au vivant.

Un choix assumé : entre héritage et affranchissement
Fille et petite-fille d’éleveurs, Estelle a grandi au milieu des vaches laitières. Elle s’est longtemps imaginée reprendre l’exploitation de son père. Mais lui, lucide, la ramène à la réalité à ses dix-huit ans : l’activité ne permet pas deux rémunérations. Elle explore alors toutes les pistes, jusqu’à découvrir dans l’élevage de poules pondeuses une voie alignée avec ses convictions : pas d’abattage, un rythme naturel et la possibilité de créer une activité à taille humaine. Son BTS agricole en poche, elle s’installe en mars 2021 à l’âge de 22 ans. Sa décision est prise : ce sera du plein air, de la vente directe et surtout, une ferme à son image.
Camymosa : un nom, une histoire, une recette
Quand elle cherche un nom pour sa production, Estelle veut qu’il raconte son ancrage. « Camy », c’est le nom de ses ancêtres, celui de la ferme familiale. « Mimosa », c’est pour la référence à l’œuf et la fameuse recette. Camymosa devient alors une marque gourmande qui a le goût de la terre béarnaise et de la transmission. L’exploitation d’Estelle n’a pas le label bio. « Mais je fais mieux que ça ! », assure la jeune femme avec fougue. Elle cultive elle-même le maïs, le soja et l’orge qu’elle donne à ses poules et n’achète que le complément minéral et vitaminé. Et surtout, ses parcours offrent deux fois plus d’espace à la bienheureuse volaille que les normes bio le suggèrent.

Une année de rodage au pas de course
En 2021, Estelle déniche sur le Bon Coin 6 cabanes équipées et un centre d’emballage complet, une opportunité qu’elle saisit sans hésiter. Elle démarre avec moins de 250 poules pour limiter les contraintes réglementaires. En pleine crise sanitaire, elle parcourt jusqu’à 9 marchés par semaine « pour me faire connaître ». Avec l’arrivée de l’été et des touristes, son activité prend véritablement son envol.
En 2022, elle passe à l’étape suivante : la vente aux professionnels.
Des cabanes mobiles et des parcours sur mesure
Estelle élève entre 1200 poules l’hiver et près de 2000 l’été, réparties en 2 à 3 lots selon la saison. Ses 6 cabanes mobiles sont installées en prairie arborée. Chaque lot bénéficie d’un peu moins d’un hectare, ombragé le matin et l’après-midi pour le confort thermique des poules. Estelle adapte en permanence l’aménagement des parcours, fait tourner les surfaces et sème à nouveau en automne pour permettre à l’herbe de repousser.
Ce modèle est idéal. Peu d’individus sur un maximum de surface. Un élevage de poules de luxe ! Comparez vous-même : derrière les œufs label rouge vendus en grandes surfaces, se cachent parfois des bâtiments d’élevage de 7000 poules ! Avec ses 2000 poulettes au grand maximum, Estelle peut prendre le temps d’observer leur comportement. « Chaque poule a sa personnalité », confie-t-elle avec tendresse : « certaines explorent tout, d’autres restent sagement près des cabanes ». Quand elle les revend, à 1 an ou 18 mois, c’est toujours vivantes. « Hors de question de faire de l’abattage ».

Le terrain, les gens, la vraie vie !
Aujourd’hui, Estelle a trouvé son équilibre : trois marchés par semaine (Argelès-Gazost, Laruns et Oloron-Sainte-Marie) et des livraisons hebdomadaires à une quarantaine de restaurateurs de Pau, de Bigorre et de la vallée d’Ossau.
Ses journées commencent à 5h30 et se terminent souvent tard. Entre la mise en boîte des œufs, les marchés, les livraisons et le ramassage manuel des œufs, il y a de quoi faire : « Il y aurait du travail pour deux… ». Avec jusqu’à 2000 œufs à ramasser chaque jour, Estelle est devenue une experte : elle les ramasse par 5 ! Elle remercie d’ailleurs ses parents, toujours là pour lui prêter main-forte.
« Je privilégie les marchés de montagne. Je préfère le grand air ! »
Depuis le début, Estelle voulait faire de la vente directe, même si ce n’était pas évident : « Je suis la première de ma famille à pratiquer la vente directe et à l’école, on n’apprend pas à vendre… » Désormais rodée, elle continue de prospecter et prend plaisir à échanger avec ses clients, restaurateurs comme habitués des marchés. Elle livre également l’AMAP de Morlaàs, plusieurs Ruches qui dit oui locales (Lons, Tarbes et Pontacq) et des épiceries.
Sans site internet, Estelle a fait le choix d’une communication simple et directe : elle partage son quotidien sur Instagram, entre coulisses de son travail et rencontres avec les clients. Ce sont surtout les avis laissés par ses fidèles qui lui assurent une visibilité et renforcent sa réputation. « Pas besoin de site internet. Les avis Google font parfaitement le job ».

Ni bio, ni techno
Chez Camymosa, pas d’automatisation ni de technologie sophistiquée. Estelle préfère garder un lien direct avec ses poules : elle les voit chaque jour, connaît leurs parcours et veille à leur bien-être au quotidien.
Lors du ramassage des œufs, elles accourent vers elle. « Elles me font la fête ! Elles sont braves. »
Ici, l’œuf n’est pas un produit : c’est une promesse !
Elle propose aussi ses cocottes retraitées à l’adoption. Les particuliers sont toujours étonnés de leur douceur, de leur sociabilité. « Ce n’est pas surprenant. J’essaie de leur offrir une vraie vie, tout simplement. » Estelle combat l’idée reçue selon laquelle seule la mention « bio » garantit la qualité. Son approche, rustique mais rigoureuse, repose sur l’observation, le travail manuel et un profond respect du vivant. De plus en plus de consommateurs y sont sensibles.

L’œuf à la coque… et l’émotion en plus
Estelle n’a pas de recette préférée à base d’œuf, elle les aime toutes. « C’est le seul aliment qui me tient au corps le matin. » Mais parmi tous ses souvenirs d’enfance, celui du petit-déjeuner avec son grand-père Pierre, qui lui a fait découvrir les œufs à la coque au petit-déjeuner est particulièrement précieux. Un souvenir tendre qui lui fait dire que finalement, certaines choses n’arrivent peut-être pas par hasard !
Accusé à tort d’augmenter le cholestérol dans les années 1980, l’œuf a longtemps été boudé de nos menus. Aujourd’hui, il fait son grand retour sur nos tables, adoré des sportifs, des végétariens et des gourmets soucieux de leur santé. Estelle s’inscrit pleinement dans ce renouveau : « Ce que je propose, c’est un œuf juste et délicieux. »

Ce qu’elle couve pour demain
Estelle ne cherche pas à étendre son activité de manière massive. Elle préfère rester à taille humaine, en ajoutant peut-être quatre ou cinq professionnels supplémentaires dans sa clientèle, mais sans jamais dépasser une certaine échelle. Son rêve ? Introduire des arbres fruitiers dans ses parcours pour offrir plus de couvert aux poules et des fruits tombés qu’elles se régaleront à picorer. Et un jour, peut-être, reprendre l’atelier bovin.
Quand on lui demande comment elle se définit, Estelle répond sans hésitation : « Je suis une agricultrice qui travaille avec des poules pondeuses. Pas une éleveuse. » Pour elle, ce mot évoque des exploitations anonymes et standardisées. Ce qu’elle défend, c’est un modèle à taille humaine, où chaque geste a du sens, chaque poule est vue et respectée. Et ça, elle y tient plus que tout. Estelle est vive, drôle, perspicace. Une cliente lui dit d’ailleurs chaque semaine : « Merci pour vos bons œufs et votre bonne humeur ! »

Chez Camymosa, la chasse aux œufs ne s’arrête pas à Pâques. Et la tendresse non plus.
Et si on regardait l’étiquette autrement ?
La prochaine fois que vous achetez des œufs, au marché ou en magasin, pensez à regarder au-delà de la coquille. Derrière chaque boîte, il y a une histoire d’élevage, une philosophie du vivant. Soutenir des fermes comme celle d’Estelle, c’est choisir un modèle où l’on respecte l’animal, le terroir, et celles et ceux qui en prennent soin au quotidien. Un modèle à taille humaine, courageux et engagé. Un modèle qu’on aimerait voir éclore un peu plus souvent.