Dans les pas d’Annabelle de la ferme Ametsa

Eleveuse libre et passionnée des béarnaises

Un modèle d’élevage itinérant qui réinvente le lien entre nature et tradition

En février, c’est à Sauveterre-de-Béarn que vous aurez le plus de chances de croiser Annabelle Meyer et ses majestueuses béarnaises. Loin d’un élevage classique, la jeune femme a fait le pari audacieux d’un troupeau itinérant, qui suit le cycle des saisons entre Béarn et Pays basque.
Son secret ? Un modèle inspiré du pastoralisme ancestral, où les vaches paissent exclusivement à l’herbe, dans le respect des équilibres naturels.

Lorsque l’on rencontre Annabelle, on sent immédiatement qu’elle n’a pas choisi l’élevage par hasard. Flanquée de son fidèle chien de travail au milieu de son troupeau, ou dans sa future petite étable une scie à la main, elle respire le bonheur. Son parcours, pourtant, aurait pu la mener ailleurs.

De chercheuse à éleveuse, il n’y a qu’une vache

Diplômée en géographie et passionnée par l’agroécologie, Annabelle aurait pu suivre une carrière universitaire. Mais c’est sur le terrain qu’elle a trouvé sa vocation. Son premier contact avec l’élevage herbager se fait dans le cadre de ses recherches académiques. Son mémoire de master à AgroParisTech l’amène dans des fermes qui élèvent des races anciennes et engagées dans des pratiques durables. Convaincue du bien-fondé de ces pratiques, elle participe à la création d’un collectif d’éleveurs herbagers, où elle occupera un poste de coordinatrice pendant plusieurs mois.

Annabelle, vachère et fière de l’être

Une révélation. Après plusieurs expériences salariées, elle saisit le taureau par les cornes et décide de construire un projet de reprise. En 2024, une opportunité unique bouscule ses plans : une amie éleveuse lui propose de reprendre son troupeau de vingt vaches béarnaises en location. Ce modèle économique astucieux lui permet de démarrer son activité sans investissement lourd. « Mon loyer, c’est un veau en caissettes par an », confie-t-elle avec une pointe de malice.

Un élevage itinérant : la liberté comme maître-mot

L’originalité du projet d’Annabelle réside dans son itinérance parfaitement maîtrisée. En été, ses vaches profitent des riches pâturages d’altitude de la vallée d’Ossau. En automne, elles réinvestissent des communaux délaissés depuis plus de cinquante ans d’Isturitz, au Pays basque. En hiver et au printemps, elles s’installent sur les prairies de Sauveterre-de-Béarn, propriété d’un agriculteur bio qui expérimente l’agriculture de conservation des sols. « Le transport est le plus gros poste de dépense », reconnaît Annabelle. Mais cette itinérance présente de nombreux avantages : ces trois milieux très différents permettent de s’adapter aux aléas climatiques et de sécuriser le système.
Le pâturage tournant est un mode de gestion qui exige une organisation millimétrée et un regard attentif sur la nature. Chaque jour, Annabelle déplace son troupeau pour assurer un pâturage optimal, reproduisant ainsi le comportement des troupeaux sauvages. Cette pratique permet de régénérer les sols, de favoriser la biodiversité et d’offrir aux vaches une alimentation naturelle, riche et variée. Chaque jour, les vaches découvrent un nouveau carré d’herbe fraîche d’environ 1700 m². Un modèle écologique et économe : il permet de ne pas surpâturer l’espace et de mettre à leur disposition une végétation riche en nutriments. « Je n’achète pas de compléments alimentaires, mes vaches se nourrissent uniquement de ce que la nature leur offre », explique l’éleveuse.

Le bonheur est des les prés pour les béarnaises d’Annabelle

Un rôle écologique et territorial

Les vaches d’Annabelle jouent un rôle essentiel dans l’entretien des paysages. « Elles participent à la régénération des sols, elles limitent l’embroussaillement des prairies et elles valorisent des espaces laissés à l’abandon », détaille-t-elle. À Isturitz, dans le Pays basque où elle a fait ses armes, Annabelle a réintroduit le pâturage sur des terres pauvres communales, délaissées depuis plus de cinquante ans. « Aujourd’hui, les gens apprécient de revoir des vaches pâturer sur ces terrains. »
Annabelle aime aussi observer ses vaches dans ces environnements de montagne. « Elles cherchent l’ombre sous les arbres quand il fait chaud, elles se réfugient dans la forêt pour vêler. En fait, elles retrouvent un comportement instinctif qu’on a tendance à oublier dans l’élevage moderne. »

La traite aux champs : en direct de la productrice

De la viande et du lait qui tournent court

L‘activité d’Annabelle repose sur plusieurs piliers : la vente de viande en caissettes aux particuliers, restaurateurs et bouchers, qui représente la moitié de ses revenus. Dès 2025, Annabelle se lance dans la production de fromage et de yaourts, avec huit de ses vaches sélectionnées pour leurs qualités laitières. Une activité saisonnière qui suivra le rythme naturel de son troupeau. « Je produirai du lait uniquement de janvier à juin. Cela me permettra d’avoir une période intense de travail, puis de ralentir quand les vaches seront en estives et dans les communaux. »
Sa priorité ? Préserver un lien direct avec ses clients. « Je veux garder le lien avec mes clients, qu’ils sachent d’où vient leur viande », insiste-t-elle.

Le plaisir d’un métier de passion tourné vers l’avenir

Lorsqu’on lui demande ce qui lui procure le plus de plaisir, Annabelle évoque d’abord la relation qu’elle entretient avec ses animaux. « Les vaches me fascinent. À mes yeux, elles représentent le lien entre l’humain et la nature. » Elle aime aussi le rythme qu’elle s’est créé en harmonie avec la nature et son troupeau.

La belle autochtone avec ses cornes caractéristiques en forme de lyre

Mais Annabelle ne compte pas s’arrêter là. Aguerrie à la vente en circuit court, elle entend bien relever le défi de la fabrication de fromages, pour diversifier son activité. Elle envisage augmenter progressivement son troupeau, tout en restant fidèle à son modèle extensif et respectueux. Elle souhaite également ouvrir sa ferme au public et organiser des visites et des traites ouvertes pour partager sa passion.

Le bouillon d’os Dohatsu : une redécouverte culinaire

En parallèle de sa formation d’éleveuse, Annabelle a lancé un projet autour du bouillon d’os traditionnel pour le remettre au goût du jour. Avec une amie catalane passionnée de cuisine, elle a créé Dohatsu, inspiré du basque « qui est bienfaisant, qui a un don, une qualité », un bouillon d’os aux qualités nutritives reconnues. Après plusieurs années de démarches, elles ont trouvé un atelier de production au Pays basque espagnol, pour transformer ces sous-produits en une alternative saine et savoureuse, inspirée des traditions anglo-saxonnes et espagnoles. Un patrimoine en partage et sans frontière !

Cuisine et dépendance : le coin des recettes

Pour prolonger l’expérience, Annabelle partage une de ses recettes favorites : la polenta au bouillon d’os Dohatsu.

Faites revenir dans une casserole des oignons et quelques poireaux dans un peu de gras, mouiller avec un demi-litre de notre bouillon d’os chaud. Quand le bouillon arrive à ébullition, réduire le feu et ajouter petit à petit la polenta de maïs grand Roux – une variété ancienne produite au Pays Basque – en remuant avec une cuillère en bois. Laissez cuire 10 à 15 minutes. À la fin de la cuisson, salez généreusement et parsemez de fromage béarnais râpé et d’herbes fraîches.

À déguster chaud ou froid.

« Le lendemain, on peut la faire frire à la poêle comme une croquette. C’est une tuerie ! », assure Annabelle en riant.

Une éleveuse engagée et un modèle à défendre

Annabelle a choisi des chemins moins empruntés, guidée par la conviction que des pratiques agricoles traditionnelles peuvent répondre aux défis contemporains. « Devenir éleveuse a été pour moi un choix, là où pour certains paysans, c’est une obligation », conclut Annabelle. Un choix guidé par l’amour des bêtes et du territoire, qui prouve qu’il est possible de concilier tradition et innovation, production et respect du vivant. Un engagement sincère et une détermination qui font d’Annabelle Meyer une figure inspirante de l’élevage de demain.

Oser prendre le taureau par les cornes au féminin