Comme un poisson dans l’Ossau

On ne vient pas par hasard à la pisciculture de Pédéhourat !

Quelque part dans le cirque de Moncaut, au bout d’un chemin long et sinueux, loin des routes fréquentées et à l’abri des regards, se cache une merveille insoupçonnée : une pisciculture construite sur les vestiges d’un ancien établissement thermal. C’est ici, dans ce décor aussi inattendu que poétique, que Léa et Sébastien Hochard élèvent leurs truites dans le plus grand des respects. Rebaptisée La Truite d’Ossau, leur ferme aquacole, installée à Pédéhourat, produit, transforme et vend directement au consommateur. De l’œuf fragile au bocal soigneusement préparé, chaque geste est réalisé avec patience, passion et une rigueur artisanale qui ne laisse rien au hasard.

Des bains aux bassins : renaissance d’un lieu oublié

C’est une histoire d’eau et de volonté. Celle de sources pures et d’un couple qui n’a pas eu froid aux yeux. Quand Léa et Sébastien Hochard découvrent la pisciculture de Pédéhourat, le site est en très mauvais état : plus d’électricité, des bassins engloutis sous la vase et la végétation, un laboratoire hors d’usage. Mais sous la mousse et les ronces, le potentiel est là, bien vivant. Trois sources alimentent les lieux, dont celle de la Hounlade, vestige d’un ancien captage thermal. Car avant d’accueillir des truites, le site abritait les Bains de Durieu, un établissement thermal aujourd’hui disparu, rasé en 1942 par les troupes allemandes. Aujourd’hui, ses fondations de pierre, forment le socle d’une vingtaine de bassins où grandissent, à leur rythme, les truites de la ferme.

Un lieu unique entièrement dédié à l’élevage des truites

« On est partis de tellement loin… », souffle Léa en repensant à l’hiver 2021, date à laquelle ils finalisent l’achat. Un pari audacieux, à des années lumières de leur vie d’avant : scientifiques dans le Pacifique. Elle en géologie. Lui en aquaculture marine (crevette, huître, poisson…). Après un projet d’installation en Charente-Maritime, freiné par la pression foncière et les enjeux climatiques, c’est dans les Pyrénées béarnaises que le couple choisit de jeter l’ancre. Un choix guidé  par les racines familiales et l’évidence des lieux.

« La vallée d’Ossau est idéale pour la pisciculture. Il y a ici une vraie culture de l’eau, une qualité de ressource exceptionnelle et un climat qui permet de travailler toute l’année en plein air. » Sur les cinq hectares de leur domaine, Léa et Sébastien ont trouvé bien plus qu’un lieu de vie et de travail : un écosystème précieux à préserver, au cœur d’une vallée aussi discrète qu’exubérante.

L’eau de source la vallée d’Ossau, ressource précieuse, garante de la qualité des productions

À la marge et à la main

Pas de machines imposantes, ni de process automatisés à la Truite d’Ossau. Ici, tout ou presque se fait à la main. Chaque matin, Léa, Sébastien et leurs deux salariés s’activent autour des bassins : contrôle des températures de l’eau, nettoyage des canaux, observation des œufs et des poissons. Le relief accidenté ne permet pas la mécanisation : le travail se fait à la brouette, bassin après bassin.

L’homme, l’eau et les poissons

Le cycle de vie d’une truite est long – trois ans environ – et rien ne s’improvise. L’écloserie, alimentée par le canal de collecte des eaux de la Gourgouch, est située en amont des autres bassins pour préserver les truitelles, plus fragiles. Au fur et à mesure de leur croissance, les poissons sont transférés dans des bassins plus vastes. Les plus gros spécimens, atteignant 3 à 4 kilos, finissent leur croissance dans quatre grands bassins en aval.

De mains en mains, de bassin en bassin : petit poisson deviendra grand

Grâce à leurs eaux minérales à température constante, les bassins ont des allures de spa naturel : ici, les truites font leur cure thermale toute l’année ! Et à en juger leur chair ferme et leur croissance régulière, aucun doute sur ses bienfaits !

Dans le laboratoire, chaque geste est maîtrisé : saignée, filetage, fumage, stérilisation… Une trancheuse, un fumoir thermorégulé, un autoclave et un tamis rotatif  : l’équipement permet de valoriser l’intégralité de la truite. Fritures, filets fumés, gravlax, terrines, œufs pasteurisés, truites entières ou en portions : l’éventail est large, les recettes soignées. « On voulait aller au bout du processus, transformer nous-mêmes, faire de la conserve aussi, pour pouvoir lisser la production et ne rien perdre. »

Des gestes précis pour des recettes savoureuses

Un travail long et minutieux. Jusqu’à l’étiquetage que le couple effectue parfois « sous un plaid devant un film », comme un petit rituel de fin de cycle. « C’est notre plaisir du soir. Quand on en est là, c’est que tout a bien marché. »

Faire simple, faire bien, faire sens

À Pédéhourat, le mot d’ordre, c’est l’autonomie. De l’éclosion à la vente, Léa et Sébastien maîtrisent toutes les étapes. Un choix motivé par l’envie  d’indépendance, mais aussi par une nécessaire résilience face au changement climatique. « Le cycle de la truite est long. On ne peut pas tout arrêter en cas d’étiage sévère des sources et du Béez. Alors on anticipe, on transforme, on adapte. » L’été 2022 a mis leur jeune exploitation à rude épreuve : sept mois sans pluie, des sources au plus bas, une tension permanente. La truite, sensible à la température, supporte mal les hausses prolongées. Heureusement, les sources captées jaillissent avec une eau à température constante comprise entre 12 et 16°C, garantissant des conditions de vie stables, même en période critique.

Côté alimentation, le choix est réfléchi : les truites sont nourries avec un aliment dont 50% de la farine de poisson est remplacée par de la farine d’insecte, produite en France à partir de déchets agricoles. « On essaie de limiter au maximum l’usage de farine de poisson. » Bien qu’ils respectent les densités d’élevage du cahier des charges en AB (25 kg/m³), le couple ne revendique pas le label, à cause de cette alimentation innovante… mais non certifiée.

Leur spécificité, c’est aussi cette volonté de rester à taille humaine. Pas de course au volume. « On est de toute façon contraints par la disponibilité en eau et cela nous convient parfaitement. On ne cherche pas à produire plus, mais à produire mieux. Et à continuer de pouvoir tout faire nous-mêmes. » Malgré la charge – physique, mentale, logistique – Léa et Sébastien le disent sans détour : ils aiment ce métier. Pas pour chaque geste, mais pour ce que la somme qu’ils forment représente: « Ce que je préfère, c’est la sensation à la fin du marché ou d’une longue journée à la pisciculture. La fatigue saine, le sentiment d’avoir tout donné. », confie Léa.

Une attention quotidienne

L’Ossau à la bouche

Le mardi et le samedi matin aux Halles de Nay, avec les fermiers du Béarn sous les Halles de Pau : les truites de Pédéhourat voyagent peu, mais elles vont droit au but. Depuis le début, Léa et Sébastien misent sur la vente directe. Une manière de faire vivre leur activité sans intermédiaire, mais aussi de créer du lien. « Après des journées à découper de la truite, c’est agréable de voir des visages, de discuter. Les marchés sont très conviviaux. Et les AMAP créent un vrai moment de partage. », s’enthousiasme Léa.

Sur leur stand, truitelles, grosses truites, filets fumés et gravlax trouvent facilement preneur.
« Les enfants raffolent du gravlax », affirme Léa en souriant. Même si certaines livraisons ne se font pas sans mal. Léa se souvient d’un soir de 2023, de retour d’une distribution d’AMAP, ils ont dû abandonner leur véhicule à Bruges, pris au piège par la neige et les arbres tombés. « À minuit, on est rentrés à pied, frigorifiés. Heureusement, les enfants étaient au chaud. » Une aventure parmi tant d’autres, qui rappelle que rien ne se fait sans effort dans cette vallée. Et que chaque effort renforce leur attachement au lieu et à ceux qui le font vivre.

Le plus court chemin de la rivière à l’assiette : le stand au marché !

Pour cuisiner la truite, pas besoin de recettes compliquées : la truite – moins grasse que le saumon – apprécie les cuissons rapides. Mais pour les curieux, des terrines mêlant filets de truite, crème fraîche et épices  offrent un autre aperçu gourmand du savoir-faire maison. De nouvelles recettes sont en préparation : « On adore innover, tester ! ».

Le couple travaille également avec quelques restaurateurs de la vallée. Une manière de faire rayonner la Truite d’Ossau dans les assiettes locales, sans chercher à multiplier les points de distribution. « On reste volontairement petits et on sait pour qui on produit. » Ici, pas de concurrence : chaque pisciculture du Béarn a trouvé sa voie – reproduction à Rébénacq, pêche loisir à Laruns, production pour la coopérative Aqualandes à Bruges… « Chacun a sa spécialité et c’est très bien comme ça. »

Plouf, plouf, plouf, ce sera toi qui craquera pour la Truite d’Ossau !

À la Truite d’Ossau, chaque jour commence avec l’eau. Elle guide les gestes, impose le rythme, dicte les priorités. Rien de spectaculaire, juste la répétition d’actes attentifs : des brouettées, des canaux et bassins nettoyés à la main, des heures au laboratoire. Ce sont ces gestes là, modestes et constants, qui ont redonné vie au lieu. Ici, la truite n’est pas qu’un produit : c’est un être vivant qu’on accompagne, de l’œuf fragile à l’étiquetage ? Un  cycle long, exigeant, mais profondément gratifiant.

« Rien n’est compliqué chez nous », conclut Léa. « Mais tout doit être rigoureusement bien fait. » Et depuis 4 ans, ce soin attentif, patient, rigoureux, fait le bonheur des gourmands béarnais.

La beauté irisée des truites fraîches