Sarah, une bergère tombée amoureuse du Béarn

Une histoire de transhumance, de sens et d’évidence

Son cœur oscille entre l’immensité des estives et l’intimité des agnelages. Entre le rythme de la traite et la patience de l’affinage. Rien pourtant ne la destinait au métier de bergère. Après des années de quête et de découvertes, Sarah Benchimol a trouvé sa voie dans le souffle chaud d’un troupeau de brebis. Installée à Esquiule depuis 2021, elle transforme tout son lait en Ossau-Iraty et fait rayonner ses fromages bien au-delà du Béarn.

Bergère, fromagère et fière de l’être !

De l’errance à la transhumance

Originaire du Loir-et-Cher, Sarah a longtemps été décrite comme « une élève qui ne savait pas ce qu’elle voulait faire ». Après un bac littéraire choisi par défaut, elle s’inscrit en fac de lettres…sans jamais franchir le seuil d’un amphi. Les routes deviennent alors son école : trois années de voyages à travers l’Europe et jusqu’au Japon, une vie de nomade ponctuée de petits boulots et de rencontres. « Quand on est assis dans la voiture d’un inconnu qui ne nous reverra jamais, les gens se livrent. J’ai découvert le monde ainsi, par tranches de vie », raconte-t-elle.

À cette époque, Sarah ignore tout du monde agricole. « Jamais personne ne m’a parlé de ces métiers à l’école… On ne m’a jamais dit qu’ils pouvaient être accessibles à tous », regrette-t-elle. Le déclic survient par hasard : un jour, le père d’une amie lui propose d’aller donner un coup de main à son beau-frère, berger sans terre qui transhume dans les Alpes du Sud-Est. Deux semaines de marche avec le troupeau, de bivouacs au milieu des brebis. « Ça a été une révélation. » Le véritable choc, olfactif et émotionnel, survient dans une bergerie de la Drôme : « L’odeur des brebis, de la litière et de la terre mouillée m’a traversée. Je me suis dit : “je suis à la maison” ». Son premier contrat de gardiennage dans les collines des Baronnies est un apprentissage concret. Elle se sent alors un peu désemparée, persuadée de ne pas avoir les compétences. Mais chaque semaine, l’éleveur vient voir ses bêtes et lui glisse un conseil, un geste, une astuce. Petit à petit, Sarah apprend à observer, anticiper et réagir.

« À la fin du contrat, j’avais un bon aperçu du métier. J’ai compris qu’on pouvait devenir bergère hors cadre familial ! »

A l’école béarnaise

Après une année passée dans les Alpes du Sud, Sarah découvre les brebis laitières basco-béarnaises et tombe sous le charme de la vallée d’Aspe et de la montagne d’Etsaut, où elle transhume encore aujourd’hui. Elle apprend sur le tas : agnelage, traite, affinage. De ferme en ferme, de la Soule au Gers, elle accumule savoir-faire et expérience. Pas d’école de berger, mais une succession d’expériences dans des fermes. Les saisons sont parfois rudes, les salaires modestes. L’enchaînement de contrats courts finit par peser : Sarah s’attache aux bêtes et les séparations deviennent de plus en plus difficiles.

Le bonheur est un chemin…

Une installation hors cadre familial

Peu à peu, l’envie de s’installer s’impose. Mais pour une jeune femme sans attache familiale dans le milieu, la marche est haute : il faut trouver des terres, réunir un apport financier conséquent et accepter la contrainte quotidienne du troupeau. En Béarn, l’accès au foncier est particulièrement compliqué, souvent lié à l’héritage et à la transmission familiale. La chance s’appelle Pierre, un éleveur qui possède une petite ferme à Esquiule, la maison Egurbide. Sans héritier, il a très tôt envisagé de transmettre sa ferme.

Mais avant cela, Sarah passe deux années en couveuse agricole “Pouss’en Béarn”, au sein d’une ferme de Caubios-Loos. Elle y arrive en 2018 avec 15 brebis et 10 agnelles. Deux ans pour tout apprendre : traire, affiner, gérer une exploitation. Deux ans pour faire grandir son troupeau et vérifier la viabilité de son rêve. Le cycle est long, chaque étape nécessite patience et investissement : s’équiper, attendre la gestation, la naissance des agneaux, la production de lait et l’affinage des fromages, parfois jusqu’à quatre mois selon leur taille.

« Je n’avais rien à perdre à essayer. Je ne voulais plus travailler pour les autres », confie-t-elle.

En 2021, c’est l’installation officielle. Sarah reprend la ferme de Pierre, parti à la retraite, grâce à un bail de carrière, un statut protecteur lui permettant de se projeter. Elle modernise l’outil de travail : machine à traire, tapis, fromagerie en dur. Pour Sarah, la ferme Egurbide est bien plus qu’un outil de travail : c’est un héritage vivant. Elle refuse le qualificatif de bergère « sans terre » : « La terre de Pierre, il me la transmet avec son opiniâtreté, sa sueur, son histoire et ses projections pour l’avenir ». Les récits de celui qui l’a précédée nourrissent aujourd’hui sa propre aventure.

Elle en pince pour la montagne

Chaque été, Sarah monte ses brebis en estives. C’est là-haut, en vallée d’Aspe, qu’elle a trouvé son ancrage. Ces mois en altitude sont une parenthèse de liberté : trois jours de transhumance, le tintement des sonnailles, le rythme lent du troupeau qui fait défiler les paysages. « J’y ai mon cœur », confie-t-elle avec tendresse.

Une attention du quotidien, un lien intime entre Sarah et son troupeau

À travers les mots qu’elle publie sur les réseaux sociaux, on devine une véritable plume poète. Elle écrit la lumière d’automne qui descend sur les estives, « encore quelques jours à mordre la montagne avant de redescendre ». Ou la cadence enivrante des cloches qui accompagne le troupeau sur la voie publique. La nostalgie affleure toujours, même lorsqu’elle parle des descentes.

Elle emmène avec elle l’un de ses trois chiens de conduite : un border collie vieillissant, un beauceron un peu « branque » mais précieux lors des transhumances, ou un jeune kelpie plein de fougue. « Le dressage, c’est un vrai savoir-faire, j’adore ça », dit-elle. Là-haut, malgré l’effort quotidien, les joies sont simples : « Le soir, quand les brebis rentrent repues et ferment les yeux en ruminant, c’est le bonheur. » Pourtant, l’accès aux estives reste difficile : les montagnes sont des biens communaux très convoités, réservés à ceux qui disposent d’un bail, souvent transmis de génération en génération.

De pis en pis // Poète et fromagère

À Esquiule, chaque goutte de lait trouve sa destinée en fromage Ossau-Iraty, une appellation à laquelle ses clients hors Béarn sont particulièrement attachés. Ses tommes voyagent bien au-delà du piémont, des Halles de Pau jusqu’aux crèmeries de Paris et de Nice, et même par correspondance chez les particuliers amateurs de fromage. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est la vente directe. Les foires, les dégustations : ces moments où les regards se croisent et où la reconnaissance est immédiate.

Dégustation : plaisir des papilles en Ossau-Iraty

Chez elle, chaque geste quotidien devient matière à poésie, chaque sensation un petit morceau d’histoire à partager. Elle aime raconter cette alchimie : « Tous les jours, la magie opère : du lait dans le pis de la brebis au fromage dans le moule. » Dans ses descriptions, on retrouve des éclats de son passé littéraire : l’odeur entêtante du foin, « mielleuse, presque épicée », qui emplit la grange à la fin des fenaisons, ou encore la mousse crémeuse qui se forme à la traite, « le velours de l’écume à chaque jet ». Pour Sarah, transformer le lait relève du rituel, presque d’un enchantement.

Et pour célébrer ce petit miracle, elle partage un conseil de dégustation à son image, simple et chaleureux : « Une tranche de fromage, du pain frais, un peu de beurre salé, et c’est tout. À toute heure de la journée ! »

Un plaisir quotidien

Derrière l’effort physique et les contraintes, Sarah revendique le plaisir comme moteur. « Tous les jours, je contemple mes brebis. Si elles vont bien, je vais bien. »  Elle aime particulièrement le moment du retour des estives : après la tonte, voir leurs corps bien nourris, sentir qu’elles sont pleines et prêtes à donner vie à une nouvelle génération. « C’est ce qui me rend la plus fière. »

De la bergerie au pré

Dans quelques jours, la bergerie d’Esquiule s’emplira d’agneaux. Sarah en parle avec émotion, évoquant « l’odeur de l’agneau qui vient de naître, qui colle à la peau et au pantalon », ou encore la douceur de l’appel des mères qui lèchent leur petit pour le sécher. Des images tendres, simples, qui disent mieux que des discours son attachement viscéral à son troupeau.

Elle le répète avec humilité : « Je me trouve chanceuse d’avoir trouvé ma voie. »

Une voie tracée par les sens

De son premier choc olfactif dans une bergerie de la Drôme à l’écume crémeuse du lait entre ses doigts, le parcours de Sarah est guidé par les sens. Son odorat, sa mémoire et son cœur ont tracé un chemin d’abord erratique, devenu évidence. Aujourd’hui, elle incarne une alchimie rare : la poésie d’une plume sensible, la tendresse d’un regard porté sur ses brebis et la force tranquille d’une femme qui a su se frayer un chemin hors cadre familial. Adorable, généreuse et profondément attachante, Sarah laisse dans son sillage une énergie lumineuse, qui nourrit autant la montagne, son troupeau, que nos papilles gourmandes.