Le Béarn garde la pêche !

La Roussanne, le fruit sauvé de l’oubli par des producteurs de Monein et Lagor.

Au cœur du Béarn, entre coteaux viticoles, vallons cultivés et forêts, les communes de Monein et de Lagor ne se résument pas à leur proximité avec le bassin de Lacq. Chaque été, en juillet, les étals se parent d’un fruit doré au parfum délicat : la pêche Roussanne. Cultivée depuis le XVIe siècle sur les coteaux, cette variété ancienne a bien failli disparaître. Elle connaît aujourd’hui un second souffle grâce à une poignée de producteurs passionnés réunis en coopérative, dont Jean-Marc Maysonnave – agriculteur à Lagor – fait partie.

Une ferme de famille … et de choix

Jean-Marc n’a pas grandi sous les pêchers, mais au cœur d’une ferme de vaches laitières. « Je ne sais pas combien de générations se sont succédé à la ferme. Chez moi, les anciens ne parlent pas beaucoup du passé, » confie-t-il. Seule trace tangible de l’ancrage familial : « 1860 » gravé dans une pierre de la grange. Troisième d’une fratrie de quatre, il reprend la ferme en 2004, à 30 ans, avec l’envie de prendre un nouveau cap.

Avant de revenir sur la ferme, Jean-Marc travaille comme technicien fromager en Ariège. C’est son père qui l’encourage à revenir … avant de lui conseiller, une fois rentré, de chercher un emploi plus stable à l’usine. Une hésitation qui rappelle la sienne, des décennies plus tôt : à son retour d’Algérie, face à l’essor industriel du bassin de Lacq, il aurait pu rejoindre la SNPA (Société Nationale des Pétroles d’Aquitaine), comme tant d’autres, mais choisit de rester à la ferme. À chaque génération, la même question se pose : faut-il embrasser le confort du salariat ou persévérer dans les incertitudes de l’agriculture ?

Lorsque Jean-Marc prend les rênes de l’exploitation en 2004, on lui suggère de tripler la production laitière. Mais entre les terrains vallonnés, les parcelles dispersées et la charge de travail pour une seule personne, il sent vite les limites du projet. Il cherche une autre voie. En 2005, il fait donc un pari audacieux :  planter ses premiers pêchers Roussanne sur 75 ares de prairie.  La première récolte a lieu en 2008. C’est le début d’un nouveau chapitre :  une ferme plus diversifiée, plus résiliente, où la passion remplace l’obligation.

Au cœur des vergers sur les coteaux surplombant le bassin de Lacq

Une culture exceptionnelle pour un fruit fragile

Si la pêche Roussanne a bien failli disparaître, ce n’est pas faute de goût— c’est même tout le contraire. Mais ce fruit d’exception est d’une grande fragilité. Délicat à cueillir, sensible aux chocs thermiques et aux manipulations, il supporte mal les circuits longs de distribution.

Cette difficulté de conservation a peu à peu poussé les petits vergers familiaux à l’abandon, au profit de cultures plus standardisées. Dans le même temps, les politiques agricoles ont favorisé la spécialisation des exploitations. La pêche, elle, est sortie du cadre. A Monein, les pêchers ont cédé leur place aux rangs de vigne. Aujourd’hui, seules quelques fermes perpétuent cette culture sur des sols bien drainés, souvent en haut de versant. À l’échelle du territoire, la Roussanne fait figure d’exception – presque de défi. Mais c’est aussi là que réside sa force : une production concentrée, des savoir-faire mutualisés, une logistique maîtrisée.

Irrésistible Roussanne

Le fruit (bien) défendu

La renaissance de la pêche Roussanne doit beaucoup à Marie-José Casaubon, habitante de Cuqueron, passionnée par ce fruit oublié. En collaboration avec l’INRA, elle sélectionne des greffons issus de deux anciens vergers de Monein, avant de se lancer pleinement dans sa sauvegarde. En 2004, elle rassemble un groupe d’agriculteurs et fonde la coopérative « Les Vergers du Pays de Monein ». Jean-Marc, fait partie des pionniers. « On était accompagnés à nos débuts par un technicien des Pyrénées-Orientales, mais on a beaucoup appris sur le tas ! »

Une culture technique, une cueillette exigeante

Cultiver la pêche Roussanne, c’est un travail de tous les instants : taille hivernale, éclaircissage en mai, piégeage des insectes, traitements contre la cloque et l’oïdium … Sans irrigation, la qualité du sol, pauvre mais bien drainé, fait toute la différence. Jean-Marc résume : « Les arbres produisent peu, mais la qualité est là. »

L’éclaircissage, nécessaire à la bonne maturité des fruits. La coupe de printemps en somme !

La récolte, elle, est un sprint de 10 à 12 jours, entre fin juin et mi-juillet. Deux équipes se relaient. Les cueilleurs dès 7h, les trieurs à partir de 9h30. « On commence par les fruits exposés, puis on s’enfonce dans le feuillage. Le fruit doit présenter une face rouge et l’autre jaune, sans trace verte. » La récolte se fait à la main, à hauteur d’homme, grâce au principe du « verger piéton ».

Mais chaque jour compte : « En 2008, on cueillait le 8 juillet. En 2020, on a commencé le 25 juin … trois jours trop tard : 20 % de pertes. » Cette année, c’était le 26 juin. En vingt ans, la récolte s’est avancée de dix jours.

Le réchauffement climatique ne fait pas débat : il modifie les repères, mais renforce aussi les arômes. Plus de chaleur, plus de parfum — un gain fragile. En 2009, une erreur s’est même révélée salutaire : « J’avais trop de rameaux, pas assez éclairci. Les fruits, petits mais nombreux, se sont protégés entre eux quand la grêle est tombée. Une partie de la récolte a été sauvée ! »

La récolte de la pêche miraculeuse

Deux variétés composent la pêche Roussanne de Monein : la première, parfumée, à floraison discrète et campanulée ouvre la saison. La seconde, plus sucrée, se distingue par sa fleur rose éclatante, qui illumine les coteaux au printemps. Toutes deux ont une chair ferme et fondante, un noyau libre, une peau fine et tiennent bien à la cuisson comme à la congélation. Leur parfum fait sensation en cuisine.

Recette fétiche : salade de pêches Roussannes au Jurançon

  • 1 kg de pêches bien mûres
  • 160 g de sucre
  • Jurançon doux
  • Quelques feuilles de menthe
  • Du jus de citron

Pelez les fruits, détaillez-les, arrosez de citron, sucrez, laissez reposer une nuit au frais. Le lendemain, ajoutez le vin, mélangez délicatement. Servez frais avec un brin de menthe. Une entrée en matière parfaite pour l’été !

Le goût des circuits courts et de la coopération

La coopérative des « Vergers du Pays de Monein », fondée en 2004 autour de la pêche Roussanne, réunit aujourd’hui sept producteurs. Les fruits y sont calibrés, stockés en chambre froide puis livrés aux magasins, restaurants ou vendus directement sur place. Un nouveau local est d’ailleurs en construction pour accompagner le développement.

Mais la vente directe à la ferme reste essentielle. « Ceux qui achètent directement prennent les fruits arrivés à maturité : ils les mettent au frigo et les consomment sous cinq jours. » Pour Jean-Marc, ce lien est précieux : « Je révisais mes verbes irréguliers en vendant du lait à la porte aux habitants de Mourenx Ville nouvelle! » À l’époque, la chaîne du froid n’existait pas et les réfrigérateurs étaient rares.

Aujourd’hui, la production annuelle oscille entre 40 et 80 tonnes. Les années fastes génèrent des pertes si la coopérative ne parvient pas à tout absorber. D’où l’importance d’optimiser la communication locale : « Nos clients lisent la presse locale ou consultent le site internet de la coopérative. Ils savent quand venir.« 

La coopérative a compté jusqu’à 17 producteurs. Certains ont pris leur retraite, d’autres ont changé d’orientation. Mais l’élan coopératif subsiste, porté par la mémoire de Marie-José Casaubon, disparue en 2023. « Elle a énormément compté dans mon parcours professionnel. Seul, je n’aurais pas pensé à me diriger vers ce type d’agriculture, ni réussi à mener un projet de cette envergure, » affirme Jean-Marc avec émotion. « Elle a su nous fédérer, autour d’un fruit, d’une saison, d’une convivialité.« 

Chaque mois de juillet, la fête de la Roussanne célébrait ce lien. Suspendue depuis la crise sanitaire, elle laisse malgré tout un esprit intact : « Ce fruit est un marqueur de saison. C’est joyeux, c’est l’été, c’est généreux !« 

Garder la pêche, meilleur conseil de la saison

La pêche Roussanne ne représente que 10 à 15 % du chiffre d’affaires de Jean-Marc. Mais elle irrigue sa vie d’une façon singulière. « C’est une activité très prenante, risquée, mais passionnante ! »

Son verger de 2005 sera renouvelé en 2026. En parallèle, il continue de diversifier : vigne, maïs, colza, canards gras en hiver. « Je ne dois pas aimer la routine ! »

Le choix de la diversification lui apporte, paradoxalement, une forme de stabilité. Il ne l’avait pas fait pour cette raison, mais aujourd’hui, il y voit une vraie résilience. Chez lui, c’est moins l’exploitation que l’exploration qui guide ses choix. Une fidélité profonde à la terre, faite de rigueur et de liberté, à l’image de ce fruit d’exception, qui a gardé, envers et contre tout, toute sa saveur.