Adiu veau, vaches et … myrtilles !
En juin à Bournos, l’heure est à la cueillette !

Quand l’été s’installe à la ferme Barus, la myrtille est reine. Sandrine Barus, agricultrice bournosienne de 56 ans, incarne la quatrième génération à la tête de cette ferme familiale. Femme de conviction, à la fois chaleureuse et déterminée, elle défend une agriculture biologique, locale et résolument humaine. Sur ses 35 hectares, elle élève des blondes d’Aquitaine, cultive des figues et des myrtilles et transforme le tout en douceurs partagées. Sa spécialité ? La vente directe. Et un franc-parler revigorant, à l’image de ses produits : naturels, sans détour et plein de vie.
La myrtille de père en fille
Tout commence en 1977, lorsque Max Barus, le père de Sandrine, plante les premiers pieds de myrtilles sur une parcelle de terres noires, nichées sur les hauteurs de Bournos. Une surface modeste -2,80 hectares- mais pleine de promesses. A l’époque, ce choix est audacieux : la culture de la myrtille est rare en France et Max fait figure de pionnier. Il cherche à diversifier l’exploitation et mise sur un fruit encore peu connu en Béarn. Sandrine sourit en évoquant ces souvenirs : « A l’époque, ici en Béarn, on en connaissait que la version sauvage, cueillie en montagne au mois d’août. »
Les premiers myrtilliers viennent d’Allemagne, aucun pépiniériste français n’en produisant. Max vise alors le marché du surgelé, destinés aux confituriers et à l’exportation. Une stratégie qui tiendra jusqu’à ce que la concurrence des pays de l’Est n’ébranle cette filière encore balbutiante. Quand Sandrine reprend l’exploitation en 1991, elle revoit la stratégie : place au fruit frais, au goût et à la vente directe. Elle introduit de nouvelles variétés, plus savoureuses et visuellement attrayantes. Mais elle n’oublie pas l’héritage : certains myrtilliers plantés par son père en 1977 produisent encore aujourd’hui. Une longévité remarquable.

Aujourd’hui, la myrtille n’est plus un simple complément de revenu : elle est devenue le pilier de la ferme.
Des choix assumés : bio, vente directe et un modèle à taille humaine
Passée à l’agriculture biologique pour les myrtilles dès 1995, puis pour l’ensemble de la ferme en 2007, Sandrine revendique une parfaite cohérence entre ses pratiques et ses valeurs : « Je voulais une alimentation saine. Je ne me voyais pas produire autre chose que ce que j’aurais aimé consommer. » Du bio par conviction.
Parce que le bio, chez elle, c’est un engagement du quotidien. Et exigeant, croyez le bien : travail manuel, surveillance constante des cultures, vigilance face aux prédateurs naturels et aux aléas climatiques. Sur 35 hectares, l’exploitation repose sur un équilibre subtil entre cultures et élevage. Sandrine a toujours veillé à conserver une échelle humaine, aussi bien dans la taille des surfaces cultivées que dans les méthodes utilisées. Les blondes d’Aquitaine sont principalement nourries à l’herbe, sur une trentaine d’hectares, tandis que les jeunes figuiers, plantés récemment, produisent 200 à 300 kg par an.
Mais ce sont les myrtilles, reines de la saison estivale, qui mobilisent le plus d’énergie : jusqu’à 25 saisonniers rejoignent l’équipe chaque été, en complément d’un salarié à mi-temps annualisé. Une organisation bien rodée, mais qui n’est pas à l’abri des caprices du ciel. En juin 2022, une violente grêle a ravagé les champs en pleine récolte « Le sol était bleu et rose. Plus un fruit sur les branches. J’avais trente saisonniers la veille et le lendemain, je leur annonçais que la saison était terminée. C’était choquant. » Un choc surmonté, sans jamais remettre en question son modèle.

Un petit fruit, de grands liens
Elle a fourni jusqu’à une quinzaine d’AMAP pendant vingt ans, avant de recentrer son activité sur cinq structures de proximité (Lons, Lescar, Serres-Castet, Morlaàs et Orthez). C’est la myrtille qui a mené Sandrine à la vente directe et cette dernière qui a transformé son rapport au métier.
« Le métier d’agriculteur est très solitaire. Grâce à la vente directe, j’ai trouvé une ouverture sociale… et d’esprit ! »
Elle organise également la cueillette au champ pour « démocratiser un produit pas accessible à tous » et accueille les visiteurs avec générosité : « J’ai vu des enfants venir cueillir et revenir adultes. Les fruits d’une bonne éducation ! » Son engagement va au-delà du champ : elle a organisé des marchés à la ferme, puis des soirées théâtre, tissant ainsi un lien culturel et festif avec son territoire.

En 2024, elle a cofondé le collectif Les Lucioles, avec le soutien du CIVAM : quinze agricultrices béarnaises de tous horizons, qui partagent leurs savoirs et rêvent d’un grand marché fermier au féminin.
Le goût du travail bien fait et le plaisir dans chaque saison
Quand on lui demande ce qu’elle préfère dans son métier, Sandrine répond sans hésiter : « J’aime tout ! Chaque saison a son charme… à condition qu’elles soient ensoleillées ! » La cueillette est faite à la main, exclusivement. Seuls les grains à maturité, d’un bleu caractéristique, sont sélectionnés. Un geste ancestral, porteur de lien.
Une pionnière engagée
À ses débuts, sur les marchés, certains clients allaient jusqu’à recracher ses myrtilles, les jugeant trop grosses, trop lisses, trop différentes des sauvages de montagne. Sandrine n’a jamais cédé. Ni sur le goût, ni sur ses convictions. Elle a éduqué, expliqué, ce qu’étaient ces fruits, leur origine, leur mode de culture. Sans relâche, elle a expliqué que la myrtille cultivée n’a rien à envier à sa cousine sauvage, notamment sur le plan nutritif. Aujourd’hui, ces mêmes clients sont devenus fidèles… et achètent aussi sa viande bio.
Une démarche joyeuse et simple pour rendre la myrtille plus abordable et renforcer les liens sociaux. Visionnaire, Sandrine a aussi participé à la structuration de la filière en adhérant au syndicat des producteurs de myrtilles de France. Ils ne sont que trois en Béarn à cultiver ce petit fruit, pourtant très demandé. Ici, dans les Pyrénées-Atlantiques, c’est sans arrosage grâce au climat et la bonne réserve utile des terres noires de Bournos, Ogeu et Buzy. Une rareté nationale. Et un modèle inspirant.
Une douceur partagée
L’été venu, les clients affluent – de Pau, du Gers, des Hautes-Pyrénées. Pour cueillir, acheter, discuter. Et parfois repartir avec une douceur transformée : myrtilles séchées, coulis, douceurs de myrtilles ou de figues, pâtisseries… Son site internet regorge d’idées de recettes : beignet, muffin ou encore un étonnant rôti de veau aux myrtilles ! Le moelleux à la myrtille est une valeur sûre, confie Sandrine. Mais son péché mignon reste simple : « un coulis sur du fromage blanc ».

Il faut noter aussi qu’à Bournos, une tradition perdure : un gâteau maison pour chaque anniversaire des saisonniers. Parce que chez Sandrine Barus, la myrtille est autant un fruit qu’un ferment de lien.
Transmettre sans trahir
Sandrine Barus incarne une autre idée du progrès. Plus patient, plus humain, plus durable. A l’aube de sa retraite, Sandrine pense déjà à la transmission : « Je ne veux pas vendre pour agrandir une autre exploitation. Je veux installer quelqu’un, l’accompagner. Montrer la valeur de ce que mon père et moi avons construit, année après année. » Son modèle articulant le bio, la polyculture, l’élevage et la vente directe, a été pensé pour durer. Il peut nourrir plusieurs trajectoires sans perdre son âme. Elle en est convaincue. Et elle espère que cette ferme, bâtie sur la patience, la résilience et la détermination, poursuivra son chemin, entre les mains de ceux qui, comme elle, veulent écouter la terre et croire au temps long. Pour celles et ceux qui, porteurs de projet, se verraient bien prendre le relais un jour : la porte est ouverte, les myrtilles vous attendent.
Si, en juin, vous ressentez le besoin de soleil et de sens, allez donc cueillir quelques myrtilles à Bournos et faire un brin de causette avec cette passionnée. Vous repartirez avec bien plus qu’un panier plein.
Un fruit devenu vedette, un modèle d’agriculture paysanne ambitieux et une femme engagée, fidèle à ses récoltes et à ses convictions, à découvrir impérativement.
Et retenez bien qu’en choisissant le circuit court, chacun peut devenir un acteur du changement, en savourant des produits de qualité et en redonnant du sens à ses choix alimentaires. Alors, la prochaine fois que vous croisez un producteur au marché ou que vous poussez la porte d’un artisan, soyez heureux de partager un moment avec celles et ceux qui réinventent notre lien à la terre.