La fin des haricots n’aura pas lieu

Hervé Hustet, fervent défenseur du haricot‑maïs béarnais

Ils ne sont plus qu’une vingtaine d’agriculteurs à en cultiver, mais leur passion est intacte. À Sauvagnon, au nord de Pau, Hervé Hustet veille sur cette tradition béarnaise vieille de cinq siècles : celle du haricot-maïs. Une culture associée aussi ingénieuse qu’exigeante, où la légumineuse grimpe le long du maïs qui lui sert de tuteur. Et si on peut plaisanter en disant qu’il travaille « pour des haricots », Hervé en parle avec une véritable tendresse : “C’est un produit sain, local, qui a du goût et une histoire ».

Une reconversion inspirante

Avant de semer son premier haricot, Hervé a d’abord traversé une période de doute. Après vingt-six ans passés dans la distribution agricole chez Euralis, il quitte en septembre 2017 un poste confortable pour se réorienter. Un tournant loin d’être anodin. « En cherchant un nouveau poste dans le même secteur, j’ai réalisé que je n’avais plus envie de faire carrière dans la distribution, le marketing, la consommation… J’avais simplement besoin de concret, de faire les choses pour moi, de travailler la matière. »

En juin 2018, il reprend l’exploitation familiale de la ferme Dousse, à Sauvagnon. D’abord dans l’idée de se lancer dans le poulet fermier – un projet contrarié par le voisinage -, il s’oriente vers les grandes cultures : maïs, soja, sorgho – sans grande passion. « Les gros tracteurs, ce n’est pas mon truc. J’aurais préféré l’élevage et la vente directe.« 

Le déclic survient au printemps 2019, à la lecture d’un article dans la presse locale annonçant que l’association Haricot-Maïs du Béarn recherche de nouveaux producteurs. Il passe un coup de fil. « Ce qui me plaisait dans ce projet, c’était de produire local, de qualité, avec un contact direct avec les consommateurs et sans aucun investissement. C’est très simple à mettre en place : si ça marche, tant mieux ; si ça ne marche pas, on arrête. On n’a rien à perdre. » La première année est un succès. « J’ai eu la chance de connaître une très bonne année. Ça m’a plu, même si c’est un travail manuel exigeant. Et surtout, j’ai découvert le plaisir d’entendre les retours positifs des clients. » Hervé se prend au jeu et s’investit rapidement dans l’association, en devenant trésorier.

Le retour à la terre, comme une évidence

Une symbiose vieille de cinq siècles

Lorsque Hervé annonce à son père qu’il va produire du haricot-maïs, celui-ci s’exclame : « Ah ! Je vais revenir en enfance ! » Une réaction qui en dit long sur l’ancrage de cette culture dans la mémoire paysanne béarnaise. À l’époque, explique Hervé, les paysans béarnais semaient du maïs là où ils avaient du fumier – le maïs était destiné à la volaille de la basse-cour. « Ils semaient les haricots au milieu du maïs, les ramassaient secs et les vendaient à une coopérative. À l’époque, on ne les consommait pas frais, ils étaient conservés pour l’hiver. »

Cette culture associée vient en réalité de loin : d’Amérique du Nord et Centrale, où elle s’inscrit dans le mythe des « trois sœurs » – maïs, courge et haricot. Une symbiose ancestrale importée en Europe à l’époque de la découverte des Amériques qui a trouvé en Béarn un terroir d’élection. Le cahier des charges de l’association s’appuie précisément sur ces savoir-faire ancestraux. Les graines de haricots sont semées en même temps que le maïs. Le principe est simple et ingénieux : le maïs sert de tuteur aux pieds de haricot qui, selon les années, peuvent grimper jusqu’au sommet du plant– et parfois même faire plier le maïs ! 

Le cahier des charges de la filière impose aussi de ne cultiver que 50 % de la surface : « On sème deux rangs de maïs, puis on en laisse deux de vide pour l’aération et la lumière. » Une tradition vieille de cinq siècles, transmise de génération en génération, qu’Hervé perpétue aujourd’hui sur les terres familiales de Sauvagnon. Et la qualité est au rendez-vous. “Le haricot, protégé par les feuilles du maïs, garde une peau plus fine, ce qui le rend plus tendre et plus digeste que le tarbais.” Un détail qui explique pourquoi les restaurateurs parisiens se battent pour s’en procurer, même si la plupart seraient bien en peine de situer le Béarn sur une carte !

La fin des haricots ? Certainement pas !

Au plus fort de l’association, ils étaient 90. En 2019, ils n’étaient plus que 45, et aujourd’hui seulement 25. La perte de vitesse est réelle, et Hervé ne se voile pas la face : recruter de nouveaux producteurs devient de plus en plus difficile. « C’est une culture qui demande beaucoup de main-d’œuvre. L’idéal, c’est d’avoir de la main-d’œuvre familiale, et il y en a de moins en moins dans les exploitations agricoles. »

Mais ce sont surtout les aléas climatiques qui compliquent la donne. Les punaises, par exemple, ont fait leur apparition ces dernières années. « Elles pondent leurs larves qui sucent la sève de la plante et font avorter les grains« , explique Hervé. À cela s’ajoutent les épisodes de canicule, de plus en plus fréquents, qui interviennent au moment critique de la floraison – autour du 15 août – et font tomber les fleurs avant même qu’elles ne se transforment en gousses. Cette année, Hervé en a fait les frais. « Sur certains pieds, il n’y avait plus rien. Seules les fleurs protégées par les feuilles du maïs ont survécu à la chaleur. » Résultat : une récolte réduite à un tiers. « La culture devient plus aléatoire et les producteurs les moins motivés se découragent plus facilement« , reconnaît-il.

Face à ce constat, l’association refuse de baisser les bras. Elle a lancé un travail de sélection des graines les plus résistantes et vigoureuses, celles qui ont le mieux résisté à la canicule et aux ravageurs. « L’objectif, c’est de dégager une souche mieux adaptée. C’est un travail de longue haleine, mais qui permettra d’obtenir une semence adaptée au climat du Béarn de 2030-2050. »  Un pari sur l’avenir qui témoigne de la détermination de ces agriculteurs à faire perdurer une tradition, coûte que coûte. Pour Hervé, abandonner n’est pas une option : « Ce ne sont pas les aléas climatiques qui vont me décourager !« 

Du champ à l’assiette

Sur son exploitation, la majorité de sa récolte est vendue en frais, directement à la ferme ou via l’association. « Je n’écosse que ce qui est commandé« , précise Hervé. Le reste sèche sur pied avant d’être vendu en grains secs, principalement à des conserveurs locaux et à quelques restaurateurs. La répartition des ventes ? 70 % de particuliers, 30 % de professionnels. « Le cahier des charges impose de ne vendre que les gousses à plus de deux grains ; c’est la raison pour laquelle vendre les haricots écossés permet de valoriser 100 % de la production. »

Des haricots-maïs écossés un à un, avec passion et patience

Quand Hervé passe en cuisine, il conserve la même simplicité que dans ses champs. « Je ne suis pas un grand cuisinier, mais j’aime préparer mes haricots avec des carottes. Je fais revenir oignons et carottes, j’ajoute les haricots cueillis le matin, un bouquet garni, de l’eau et je laisse mijoter une demi-heure. Le secret, c’est de saler en fin de cuisson ! »

Le plaisir de travailler pour des haricots

On pourrait se moquer gentiment en disant qu’Hervé travaille « pour des haricots ». Mais à l’écouter, on comprend vite que c’est tout sauf une plaisanterie. « Franchement, j’ai plus de plaisir à recevoir le message d’un client qui me dit ‘ton haricot était super bon’, qu’à annoncer ‘j’ai fait 130 quintaux de maïs’ ! » Et des messages, il en reçoit beaucoup. Appels, SMS, petits mots chaleureux… Même des restaurateurs parisiens réclament le haricot-maïs du Béarn, et pas un autre. « Je ne suis pas sûr qu’ils sauraient situer le Béarn sur une carte, mais le haricot-maïs béarnais, ça, ils connaissent !« 

Ce qui le motive ? « Le plaisir de faire un produit qualitatif, sain, traditionnel. Et puis, le retour des clients satisfaits. » Mais son moment préféré reste celui de la récolte, entre fin août et fin septembre. C’est la concrétisation de tout le travail de l’année, la récompense.

Un produit de qualité, qui fait parler du terroir béarnais

Sur son exploitation de 60 hectares, le haricot-maïs n’occupe que 30 à 50 ares.  Une petite surface, pour un impact économique modeste… en apparence. « En chiffre d’affaires, c’est limité, mais en revenus, c’est bien plus intéressant que le maïs », précise-t-il. Surtout, c’est une activité complémentaire qui a du sens. Hervé est d’ailleurs plus peiné de ne pas pouvoir satisfaire sa clientèle – comme cette année, avec une récolte limitée – que de perdre du chiffre d’affaires. « Si on est animé uniquement par l’aspect économique, on se décourage vite, parce qu’une année sur deux, c’est une récolte moyenne. Certains producteurs de l’association cultivent le haricot plus par conviction que par calcul !« 

Conclusion

Hervé résume son aventure du haricot-maïs en trois mots : authenticité, goût et passion.

Et quand on lui demande ce qui pourrait motiver de jeunes agriculteurs à se lancer dans cette culture, il répond sans hésiter :  « Il faut aimer faire des produits de qualité et le travail manuel. Il n’y a aucun problème de débouchés, c’est une production complémentaire qui ne demande aucun investissement, hormis un peu de sueur et de main-d’œuvre. »

Le vrai défi aujourd’hui ? Produire assez de haricots pour répondre à la demande. Mais Hervé garde le cap. « Je fais tout pour en avoir, pour bien faire. J’y passe du temps, je les bichonne. Certains soirs, je suis harassé, mais content. » Et c’est peut-être ça, finalement, le vrai luxe : être harassé, mais content.